OBMKM La suivante conversation a eu lieu entre Frédéric Chastro et Connie Gutierrez dans la galerie ¨Espacio Interferencia ¨de Cali en septembre 2016. C.G. : Quand je vis le plan d´accrochage de l´exposition sur mon ordinateur je pensais à des images qui établissent une relation particulière avec le medium photographique. C’est à dire, qu´il y a une exploration du système visuel, de la machine même, et c’est de cette exploration que surgissent tes images. Parle moi des photographies de ton exposition OBMKM. F.CH.: L´exposition est composée de deux séries d´images. Dans la première série, j´explore l´essence même du capteur de l´appareil photo numérique. Le point de départ est un rectangle noir de 24x36 mm (le format crée par Oskar Barnack) dans lequel je trouve l´énergie du capteur. C’est à dire, l´énergie de chaque pixel émise par le processeur de traitement de l´appareil. Apparemment ce rectangle noir ne montre rien, mais je l´explore et l´éclaircit avec les outils d´un programme d’édition numérique -Adobe Lightroom- et j´y trouve cette image d´énergie ! La connexion entre les deux séries est le programme d´édition. Dans le premier cas je l´applique sur le rectangle noir qui est l´empreinte électronique du capteur où il n´y a pas d´image du réel extérieur. Dans le deuxième cas, je pars d´une image conventionnelle de quelque sujet que ce soit. Je ne touche pas la ¨matière¨, c´est l´¨Apparatus¨, car a un certain moment du processus je ne décide pas, c ´est la machine qui a l´initiative ! La déconstruction ou refiguration de l´image est faîte par le software. C.G: Ces photographies de ton exposition me renvoient à un espace temps particulier, quelque chose entre le microscope et le télescope. Il y a un sentiment de désorientation parce que le micro et le macro sont présentés simultanément dans le même espace. F.CH.: L´empreinte du capteur me donne ce rectangle noir dont on a parlé, en l´explorant je trouve ces images. C´est l´appareil qui me permet de trouver ces images parce que je suis incapable de les créer, je ne les connaissais pas ! Nous sommes entre ces deux mondes, entre celui des insectes montré par le microscope et celui du télescope qui nous suggère des aurores boréales ou des paysages célestes, entre la science et la poésie. C´est à ce moment que j´introduis dans ce travail la peinture ¨Carré noir sur fond blanc¨ de Kazimir Malevich, où le noir est aussi important que le blanc, le négatif est aussi important que le positif. Le motif n´existe plus, seule l´essence de la photographie est là, à la fois analogique et numérique. Dans ce jeu entre le positif et le négatif la technologie du capteur introduit un autre élément primordial qui est le bruit numérique qui finit par se matérialiser dans l´image. Quand on parle de bruit on se doit de parler aussi de silence numérique… (Byung-Chul Han) C.G.: Pourquoi as-tu titré l´exposition OBMKM,Oskar Barnack Meets Kazimir Malevich? Comment s’est produit cette rencontre ? C´est une rencontre que tu as construite ? F.CH.: Oui, les deux entre 1913 et 1915 étaient en train de travailler sur leurs projets finalement très similaires. Malevich poussait sa réflexion sur la peinture jusqu´au ¨Carré noir sur fond blanc¨ et Barnack mettait au point la LEItz CAmera pour son propre usage. Le photographe allemand Oskar Barnack est l´inventeur du premier appareil 24x36, en couchant le film de cinéma 35 mm pour le dérouler à l´horizontale. Cette brillante idée révolutionne la photographie en la rendant beaucoup plus agile, économique, compacte. Cette invention va marquer la majeure partie de la communication visuelle du XXe siècle et reste toujours, un siècle après, le standard dans l´industrie photographique. Le grand reportage documentaire, la Street Photography, l´essor de la photographie couleur amateur, l´arrivée du Kodachrome 64 etc., sont autant d´apports à l´image argentique puis numérique. C.G. : Peux-tu nous parler de ton idée de premier pixel dans le tableau de Malevich ? F.CH.: Dans la photographie contemporaine, par exemple, le travail de l´allemand Thomas Ruff, on voit des pixels agrandis. Ses images de la série Jpeg en son l´illustration, le pixel est de la taille d´un carreau ! Alors quand je regarde de nouveau la peinture de Malevich, j´établis cette relation avec ce qui se passe aujourd’hui. Dans sa peinture Malevich non seulement s’affranchit du ¨sujet¨ représenté, mais nous suggère aussi le premier pixel numérique. C.G. : Cette relation peinture /photographie t´intéresse. À quoi fais-tu référence quand tu dis pictoriale de loin et photographique de près ? F.CH.: Dans la deuxième série, ¨Algorithmes¨, tu peux voir en apparence une image abstraite de loin, puis de très près des images définies, reconnaissables. C´est un exercice visuel, de loin tu vois une chose différente à celle que tu vois de près, où chaque fragment d´image vas te donner une information de la réalité. Dans Algorithmes il y a un dialogue visuel fait de mouvements et de manquants, la soustraction de réalité photographique causée par le logiciel. Il n´ y a pas d´intervalles entre les images comme c´est souvent le cas dans le montage d´une exposition, mais ces intervalles sont dans la même image. Le logiciel crée un vide dans cette image et le restitue à sa façon ou l´ élimine définitivement, avec des rythmes visuels aléatoires, créant de faux assemblages diffus ou nets entre les bords des éléments qui constituent l´image. Entre le photographique-identifiable-et l´incertain, qui finit par être la partie non lisible, se crée un vas et viens définit par le logiciel, l´Apparatus. Contrairement à ce qui se passe dans un photomontage, c´est une seule image déconstruite qui se recompose sous l´action du logiciel, une version ¨Remix¨ de l´original. Les ordinateurs se voient confiés à un nombre de plus en plus grand de tâches, et la photographie ne saurait être l´exception. Dans mon travail, il y a des éléments essentiellement photographiques et d´autres pictorials qui se rejoignent. Et cela m´intéresse beaucoup, l´influence des uns sur les autres, leur proximité, leur frontière. Je photographie, je dessine et je peints, ainsi quelques fois il y a coïncidence. C.G.: Je crois que le concept de Jan Dibbets sur la photographie et de la relation avec la peinture présenté dans l´exposition : ¨La Boite de Pandore ¨Une autre Photographie, t´a particulièrement intéressé. F.CH.: Oui, Dibbets me confirme cette manière de considérer le dialogue Peinture/Photographie. Dans cette exposition, il propose sa lecture de l´histoire de la photographie et il commence par une peinture de Jean Auguste Dominique Ingres, le portrait de la Vicomtesse d´Haussonvile, hyperréaliste avant l´heure, artiste qu´il considère comme l´arrière grand père de la photographie couleur ! Ainsi, puisqu´Ingres peut être le précurseur de la photo couleur pourquoi pas Kazimir Malevich celui de l´image numérique! Selon Dibbets, nous finissons tous par faire les mêmes images qui sont des images redondantes. Dans le travail présenté ici, je ne regarde pas par le viseur mais par l´objectif. Je rentre dans l´appareil et face à face avec le capteur je me retrouve dans le noir, enfermé avec le processeur de traitement et tous les pixels. Dans toutes les technologies il y a des protocoles, des modes d´emploi que l´ ont doit respecter, faisant le parcours à l´envers, on ouvre quelques fois de nouvelles fenêtres. C´est bien agréable de changer la lecture du manuel. |